19 octobre 2017
Claudine Simon et Leyla Binici, respectivement présidente et vice-présidente de l'Association des citoyens du Port-du-Rhin.
Le long de la Route-du-Rhin, le tram et l’avenue du Pont-de-l’Europe tracent une frontière symbolique. D’un côté, le quartier « historique » du Port-du-Rhin, classé Quartier prioritaire de la politique ville (QPV) : 1400 habitants logés dans des immeubles du début du XXe siècle mal isolés, 90% de logements sociaux et environ 40% de chômage. De l’autre, un quartier en chantier, une clinique flambant neuve et une capacité d’environ 1000 habitants dans des logements à 3 500 €/ m2 en moyenne, aux matériaux innovants, dont le plus ancien date de 2013.
D’un côté les friches, de l’autre, le jardin des Deux-Rives. « Encore une livraison d’immeuble et les "nouveaux" seront majoritaires », pense Claudine Simon, présidente de l’Association des citoyens du Port-du-Rhin, arrivée dans le quartier en 2014. L’association, créée en juillet, veut faire le pont entre les anciens et nouveaux résidents et ambitionne de devenir l’interlocuteur principal de la Ville. Les projets d’aménagement de l’axe Deux-Rives vont encore changer la face du quartier : on attend la construction de 5 000 logements supplémentaires d’ici 2025.
130 millions investis à la suite du sommet de l’OTAN
Le point de départ de ce projet urbain remonte à 2009. Le sommet de l’OTAN donne lieu à de violentes contre-manifestations au Port-du-Rhin. Secrétaire de la nouvelle association, Anne-Véronique Auzet, alors résidente du quartier, a joué le pompier de service : « Je me suis retrouvée à faire l’évacuation de l’hôtel incendié. »
Le sommet passé, le quartier est défiguré et la ville investit plus de 130 millions d’euros dans sa rénovation et le futur projet urbain des Deux-Rives. Il n’existait alors qu’une association de résidents, l’ARPOR, vieillissante et fermée, dont la seule représentante connue est une habitante historique du quartier, Christine Kiefer. Claudine Simon s’en désole aujourd’hui : « Finalement, il n’y avait pas d’association pour les gens qui voulaient faire quelque chose pour le Port-du-Rhin. » Malgré les conseils de quartier dans lesquelles elles se sont toutes les deux investies, il leur a été difficile d’obtenir des réponses de la municipalité.
Afin de peser sur les décisions de la ville sur les grands projets qui les concernent, le noyau dur de l’association (Claudine Simon, présidente, Leyla Binici, vice-présidente, et Anne-Véronique Auzet, secrétaire) a déposé les statuts en juillet. Le collectif devrait avoir son mot à dire sur l’installation de locaux commerciaux qui tarde ou la possible construction de sept tours sur les rives du Rhin. « Je ferai tout pour que ça ne se passe pas, ça ferait une magnifique zone à défendre », s’amuse Anne-Véronique Auzet, toutefois très sérieuse, elle qui réside dans le quartier historique depuis 2007.
Surtout, « l’association veut répondre au besoin de vivre-ensemble », estime Leyla Binici, la vice-présidente, encartée Europe Ecologie Les Verts. Parmi les projets, tendre la main aux nouveaux résidents : par exemple, l’association veut présenter une exposition en 2019 sur les dix ans du sommet de l’OTAN. « Cela permettrait de créer un lien entre les anciens habitants qui ont vécu les événements et d’expliquer aux nouveaux habitants pourquoi le quartier est tel qu’il est », explique Claudine Simon.
« Beaucoup de familles doivent faire le choix entre se chauffer et se nourrir »
Dans la cité Loucheur, les façades récemment ravalées cachent des défauts bien plus problématiques qu’une couleur un peu passée.« La différence entre ancien et nouveau, c’est la précarité énergétique. Beaucoup de familles doivent faire le choix entre se chauffer et se nourrir. Avec les moisissures, des gens sont malades. Une pétition a été remise à Philippe Bies [adjoint de quartier et président de Cus Habitat, principal opérateur HLM du secteur, NDLR] il y a quelques mois. Un diagnostic a été effectué, on attend la suite », explique Leyla Binici.
Impossible d’envisager l’installation de familles plus aisées dans le quartier historique tant que les logements sont dans cet état, d’autant que les trois bailleurs présents – Cus Habitat, Habitation Moderne et la Strasbourgeoise – n’ont pas de véritable projet de mixité sociale. Si bien que rien ne change : on remet les mêmes types de population aux mêmes endroits. Quelques familles du quartier historique ont toutefois obtenu la possibilité de déménager dans les nouveaux immeubles, aux dernières normes de consommation énergétique, sous condition de ressources.
Dans le quartier, les quelques structures existantes peinent à mixer les publics. Le centre socioculturel (CSC) Au-delà des Ponts accueille essentiellement des enfants du quartier historique, et représente une des rares offres d’activités extrascolaires. Au petit-déjeuner des habitants du Port-du-Rhin, un rendez-vous mensuel organisé par le CSC, même constat, ne se retrouvent pour l’instant que des habitants de la Cité Loucheur et de ses abords. « En ce moment, on a un problème de place. Nous ne pouvons recevoir que 34 enfants alors qu’on a environ 50 demandes, alors on essaie de faire tourner. Et la fin des emplois aidés ne nous facilite pas la tâche », explique Franck, le directeur du CSC. La construction d’un nouveau bâtiment doit débuter prochainement, pour une fin des travaux en 2019. Il sera situé entre la cour de l’école du Rhin et l’avenue du Pont-de-l’Europe.
Du côté de l’école, deux classes bilingues français-allemand ont ouvert il y a deux ans. « Ca a poussé les gens plus aisés à venir à l’école », affirme Eugénie Bienaimé, déléguée de parents d’élèves à l’école du Rhin. Pour elle, « la mixité prend bien, mais le quartier et l’école souffrent d’une mauvaise réputation ». L’absence d’un enseignant en Allemand pour la classe bilingue l’année dernière a déjà conduit plusieurs familles à inscrire leur enfant ailleurs. Une lacune comblée à la rentrée. Pour Claudine Simon, le problème est ailleurs : « Dès que les gens ont les moyens, ils les mettent ailleurs dans le privé, regrette-t-elle. Il faut arriver à faire en sorte que les gens mettent leurs enfants dans l’école du quartier. »
Autant de problèmes qu’il reste à régler, mais la mixité est une affaire de temps long : « on ne verra les résultats que dans dix ou quinze ans », temporise Leyla Benici. L’Association des citoyens du Port-du-Rhin ne veut toutefois pas traîner et désire vite s’imposer comme un des interlocuteurs privilégiés de la municipalité. Leyla et Claudine doivent rencontrer début novembre Philippe Bies, leur nouvel adjoint de quartier.
Paul Boulben et Pablo Guimbretière