12 octobre 2012
Interview avec Volker Ziegler, architecte, urbaniste et enseignant à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Strasbourg.
Quel était le concept initial du quartier Hautepierre ?
L'idée au départ est celle d'une ville nouvelle, à l'écart du centre de Strasbourg, construite sur des champs. Il y avait un plan qui prévoyait une cité pour 20 000 habitants, basé sur l'idée qu'on pouvait facilement circuler en voiture sans s'arrêter. On a trouvé un système sans feux et avec trois branches. Cela donne des hexagones, les mailles, dans lesquelles les immeubles ont été disposés comme une couronne autour des espaces verts.
On voulait que les voitures restent sur les avenues des hexagones et que l'intérieur des mailles soit piétonnier. Il y a très peu de chemins pour les piétons le long des avenues parce qu'on voulait séparer les flux de piétons et des voitures. A l'époque, l'idée était de constituer un village dans chaque maille et que le tout forme une sorte de ville.
Il y a peu de commerces dans les mailles. Tout le monde se rend au centre commercial, pourquoi ?
A la naissance du quartier, il y avait l'espoir d'avoir plein de magasins avec des gens qui se baladent, donc une vraie urbanité. L'architecture fait une rupture nette entre un bâtiment et l'espace autour. Pour intégrer des commerces, il faut une sorte de filtre, un espace qui n'est pas dedans, mais un peu dehors. Cela n'était pas prévu par les architectes d'installer des commerces dans les mailles.
Après le ralentissement du chantier à la suite du choc pétrolier de 1973, l'occasion était déjà ratée de faire de Hautepierre un quartier vivant. On a alors essayé d'attirer des grandes chaînes. Auchan, c'est le trou noir dans cette galaxie, c'est devenu le centre du quartier. La politique actuelle vise à renverser un peu cette tendance en installant une bande de commerces le long des avenues.
Le logement social est typique des années 1970.
D'après vous, le concept de mailles fonctionne-t-il ?
Il ne fonctionne pas parce que l'idée a été de construire uniquement autour de l'automobile. Les mailles fonctionnent à 120°, c'est-à-dire que tous les 300 mètres, il faut tourner à 120° et cela désoriente.
Si je prends l'exemple de Paris, sur les Champs-Elysées, je sais où je suis, j'ai des axes avec des repères très clairs. Il en faut de temps en temps dans un quartier. À Hautepierre, il n'y en a aucun. On se perd facilement. Car c'est un quartier adapté uniquement à la voiture. Aujourd'hui malgré le tramway, les traversées entre les mailles sont toujours difficiles, il n'y a pas de trottoirs. Ce système de circulation est mal adapté à la vie urbaine.
Peut-on dire qu'Hautepierre est aussi un échec en ce qui concerne la vie sociale du quartier?
Non, il faut distinguer entre la réputation qu'un quartier peut avoir de l'extérieur et le point de vue des gens qui y vivent. Eux sont attachés à leur quartier. Cela se voit dans les conflits autour des rues qui doivent à terme passer dans les mailles. Il y a toute une polémique autour de cela depuis le début des années 2000. Pour certains habitants du quartier, c'est une manière d'introduire le contrôle par l'autorité car les voitures de police pourraient circuler à l'intérieur.
A Hautepierre, une vie sociale s'est construite. Selon les mailles, l’ambiance est différente. Il y a de la propriété privée, du logement social... On peut sans doute parler de l'échec d'une certaine vision urbaine, mais il y a quand même une vie de quartier. Je crois que les gens d'Hautepierre se connaissent, parce qu'on est vite repéré quand on n'habite pas là-bas.
Un appartement sans balcon n'empêche pas d'avoir un petit jardin.
Que faudrait-il changer pour améliorer le quartier?
La réponse n'est pas simple. Le concept de mailles n'est pas bien adapté à la création de l'espace public. Il faut rentrer dans l'espace collectif des gens. Pour cela, il faut avancer prudemment. Le prolongement de la ligne de tram est une bonne idée.
La résidentialisation est un autre concept poursuivi qui a pour objectif d'améliorer les conditions de vie quotidienne des quartiers d’habitat social. Cela passe par exemple par des jardins au rez-de-chaussée des immeubles. Si on exagère, après on risque de se retrouver avec des grilles partout, donc il faut toujours chercher un équilibre entre l'espace libre et l'espace qui appartient à tous. Il faut aussi de la place pour garer sa voiture, son vélo, la poussette...
Tout programme architectural et urbanistique qui vient d'initiatives des gens du quartier comme le jardinage partagé est à soutenir. Cela peut enrichir un projet venu de l'extérieur, de la mairie par exemple. Le projet de rénovation urbaine (PRU) cherche l'équilibre entre l'espace public et l'espace privé ainsi que pour les problématiques de circulation.
Propos recueillis par Elisa Heidenreich
Photos: Elisa Heidenreich/CUEJ