Le cimetière de la réconciliation
À Niederbronn-les-Bains, les habitants côtoient au quotidien les tombes de soldats allemands, entretenues par une association germanique.
Plus de 15000 corps de soldats allemands en plein cœur de l’Alsace : Niederbronn-les-Bains, petite commune de 5000 habitants dans les Vosges, héberge sur ses collines un des plus grands cimetières militaires allemands de la Seconde Guerre mondiale. Morts dans la région entre 1939 et 1945, ils sont toujours enterrés ici, en raison d’un traité de 1954 signé entre la France et l’Allemagne, garantissant le droit du repos éternel aux soldats allemands. Rien qu’en France il existe environ 220 cimetières allemands de la Première et de la Seconde Guerre mondiale.
L’association humanitaire allemande « Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge » (Service pour l’entretien des sépultures militaires allemandes, Sesma) est en charge de ces cimetières, en France comme partout ailleurs dans le monde. À Niederbronn, le Volksbund a créé juste à côté le centre de rencontre Albert Schweitzer afin de s’engager pour la « réconciliation par-dessus les tombes ». Dans des séminaires et des excursions, les intéressés traitent l’histoire de la Seconde Guerre dans la région. 4000 personnes y participent chaque année, Allemands et Français mélangés.
C'est mieux qu'un film de Spielberg
Pour ce travail, Bernard Klein, historien alsacien et directeur du centre Albert Schweitzer, a créé ses propres archives au cours des années. Il a recueilli des dossiers d’environ 300 destins individuels des soldats enterrés à Niederbronn. Ce sont leurs descendants qui lui ont transmis des lettres, des photos et des documents officiels. « Il y a toujours un grand intérêt pour les morts. Aujourd’hui encore, un vieil homme de 73 ans est venu me voir pour chercher son père, probablement enterré ici », raconte Bernard Klein. Il est passionné par les histoires de familles qui se jouent au cimetière, des demi-frères et demi-sœurs qui se découvrent à la tombe de leur père commun. « C’est mieux qu’un film de Spielberg. Je pourrais passer ma vie là-bas », s’enthousiasme-t-il.
L’intérêt pour le cimetière se manifeste aussi lors du jour du deuil national allemand en novembre. Chaque année, environ 150 personnes y assistent au cimetière de Niederbronn. Les descendants des victimes des quatre coins de l’Allemagne se rendent sur place. Mais rares sont ceux qui se décident à faire rapatrier leurs morts, solution autorisée par le traité de 1954. Les démarches auprès des ministères français et allemands sont longues et l’organisation du rapatriement est à la charge des familles. « Ici, la place est garantie pour toujours. Les descendants sont donc contents d’avoir trouvé une dernière demeure digne – et gratuite. »
Une présence acceptée
En dépit d’actes de vandalisme isolés, comme à Guebwiller en 2010, où des tombes des soldats allemands ont été profanées, les Alsaciens semblent respecter la présence de ces cimetières sur leur territoire. « Les gens de Niederbronn n’ont pas de problème avec ce cimetière. Quelques uns se plaignent même quand on oublie d’annoncer le jour de deuil national allemand dans le journal local, parce qu’ils veulent y assister », assure Bernard Klein. C’est leur histoire aussi qui se reflète sur le cimetière militaire allemand : considérés comme « ralliés » au régime nazi, on y trouve des tombes des civils de la région, tués par des bombardements par exemple. La victime la plus jeune a un an et demi. En tout, des corps de 17 autres nationalités reposent aux côtés des soldats allemands, enterrés ici en fonction des circonstances de leur mort ou pour des raisons d’ordre familial. « Il y a encore beaucoup de traces à examiner », affirme Bernard Klein. Pour ce faire, le centre de rencontre Albert Schweitzer est en train d’agrandir ses locaux afin de pouvoir accueillir encore plus de passionnés d’histoire.
Clara Surges