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Le mur de la division

Les noms des 50 000 victimes alsaciennes de la Seconde Guerre mondiale figureraient sur le même monument aux morts, le Mur des noms. Le projet porté par Philippe Richert, alors président de la région Grand Est, ne fait pas l'unanimité. La cohabitation du nom des victimes et des complices de leurs bourreaux inquiète.

 

Le Mur des noms prendrait place en dessous du mémorial d'Alsace-Moselle à Schirmeck. D.R.

 

En février 2017, le président de la région Grand Est, Philippe Richert, présente l'avant-projet du Mur des noms. Onze ans que l'idée est dans les cartons. A l'origine dédié aux Alsaciens incorporés de force dans la Wehrmacht, il est étendu aux plus de 50 000 victimes alsaciennes de la Seconde Guerre mondiale. Civils, déportés raciaux ou politiques, résistants ou combattants dans l'armée française, leur nom figurerait sur le même monument aux morts que les incorporés de force, dits « malgré-nous », près du mémorial d'Alsace-Moselle, à Schirmeck. Mais le projet clive. Ses opposants lui reprochent le classement des noms par ordre alphabétique. Ils s'inquiètent aussi de voir cohabiter sur un même lieu de mémoire le nom des victimes et des complices de leurs bourreaux. 

Tous victimes du nazisme

Dès les années 2000, un monument aux morts dédié aux incorporés de force alsaciens est envisagé. Concomitant avec le développement de l'historiographie des malgré-nous, cette demande est justifiée par l'absence de lieu de mémoire unique pour ce qu'ont subi ces Alsaciens morts pendant la guerre, bien que des monuments aux morts y fassent référence. « Il n'y a pas de pierre tombale, pas de trace de lui, déplore Micheline Goliwas, dont le premier mari de sa mère était incorporé et n'est jamais rentré. On ne peut pas faire le deuil. » Pour elle, le Mur des noms matérialiserait la reconnaissance de l'existence de cet homme et de ce qu'il a vécu. C'est aussi le cas du frère de Jean-Paul Bruckert, André : « On a juste son nom sur une liste dans un cimetière allemand. Il n'a pas de tombe ». Son frère a été incorporé de force et il est mort dans les environs de Cracovie, alors que son beau-père, résistant à Vieux-Thann, a été fusillé à Rammersweiher. « Les deux ont leur place sur un monument aux morts pour la France. Les malgré-nous ont été des victimes du nazisme, comme l'a été mon beau-père. »

Le poids de l'uniforme

Myrthil Weill, secrétaire général de l'école juive strasbourgeoise ORT, est mort après avoir été déporté en février 1944. Sa fille, Michelle Mulhmann-Weill, considère « inadmissible » le projet du Mur des noms. « Un mort vaut un autre mort ? Je ne suis pas d'accord ! », tempête-t-elle. Pour beaucoup de juifs concernés directement par le projet, il est impossible de cautionner la présence sur un même mur des victimes et des complices de leurs bourreaux. Raymond Weil, juif athée, dont une partie de la famille est morte en déportation, jette une ombre de soupçon sur les incorporés de force : « Ça pose clairement la question du pardon. Parmi les malgré-nous, il y avait les vrais réfractaires et puis il y avait ceux qui se sont laissés faire sans trop protester. » 

Dans la communauté juive alsacienne, l'opposition au projet est aujourd'hui unanime, jusqu'au nouveau grand rabbin de Strasbourg Harold Weil, récemment informé. « Pas d'amalgames. Pour nous, il y a les victimes de la guerre et les victimes du génocide », résume André Kosmicki, président de l'association juive Valiske, qui organise des voyages mémoriels. Les descendants de déportés raciaux ou politiques savent que la grande majorité des incorporés n'ont ni participé à des crimes de masse, ni été complices du génocide. « Je ne peux pas admettre des genres totalement différents, qu'on mette un lieutenant SS, même contre son gré, avec un déporté d'un camp de concentration », s'emporte François Amoudruz, ancien déporté et figure de la résistance de l'Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand.

Les intéressés « pas consultés »

Pourtant, parmi les associations et organisations opposées depuis le début, personne n'a été consulté. Ni le Consistoire et le grand rabbin de Strasbourg, ni la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD). L'Association pour les études sur la résistance intérieure alsacienne (AERIA), qui a réuni et fourni énormément de témoignages, non plus. « On se demande avec qui [Philippe Richert] a travaillé », avoue, sceptique, Mireille Hincker, membre fondatrice de l'association et veuve d'un résistant. « Je n'ai pas été consulté du tout, alors que tout le monde sait qui je suis dans le monde de la déportation », déplore François Amoudruz. Pour lui, le Mur restera à l'état de projet  : « Nous ne l'admettons pas et nous ne l'admettrons pas  !  », martèle-t-il. Après un printemps de vifs débats alimentés dans la presse locale, le président de la Région Grand Est a tenté de les éteindre en annonçant de nouvelles concertations. Le Mur des noms « est toujours d'actualité », annonce aujourd'hui la Région, avant d'ajouter : « une réflexion est en cours avec un comité scientifique ». Une consultation aura lieu en janvier et les associations concernées attendent toujours d'être sollicitées. 

Paul Boulben