Waff'EM SS : mauvaise blague, vraie polémique
En octobre dernier, une liste étudiante pour l'élection du Bureau des sports de l'Ecole de Management de Strasbourg faisait l'apologie du nazisme. Un étudiant est mis en cause, il devrait passer en conseil de discipline.
D'après ceux qui le connaissent, l'auteur de la page Facebook Waff'EM SS – mauvais jeu de mots sur le nom de son école, Ecole de management de Strasbourg, l'EMS - n'aurait fait que se livrer à un « acte irréfléchi », une « action individuelle », et rien de plus. Il a publié en octobre 2017 ces références à une organisation criminelle nazie dans le cadre de la préparation des élections du Bureau des sports de l'école, où il est de tradition de créer des pseudo listes pour lancer la campagne. Un élève de l'EM fait une capture d'écran de la page Facebook et l'envoie à l'un des médias étudiants les plus influents dans le milieu des écoles de commerce, Captain Jack, qui le diffuse à son tour. L'image est reprise dans certains médias nationaux.
Trois mois plus tard, l'étudiant-auteur est convoqué devant le conseil de discipline de l'Université de Strasbourg. Après la publication d'un communiqué de presse au lendemain de la polémique, la direction de l'école refuse de s'exprimer.
La diffusion de la capture d'écran a généré plus de 1 400 likes et près de 850 commentaires sur la page Facebook de Captain Jack. Ennuyeux dans une filière particulièrement sensible au « bad buzz », comme le qualifient les étudiants des écoles de commerce. L'administration et les élèves craignent d'être associés à un acte antisémite. « Nous avons reçu un mail nous indiquant de ne pas répondre aux journalistes, relate un étudiant. La réputation de l'école et la valeur de notre diplôme sont en jeu. »
Si ça avait été fait à Bordeaux ou Toulouse, ça n'aurait pas été pareil
Consciente d'avoir semé le trouble dans une école localisée à Strasbourg, ville associée à « un passé lourd avec l'Allemagne », l'équipe de Captain Jack assure ne pas avoir pressenti l'ampleur de l'écho de leur publication. L'un de ses membres, Kevin Tabarin, reconnaît cependant que « la proximité historique de Strasbourg avec l'Allemagne nazie et le fait que l'Ecole réagisse sur notre publication ont beaucoup joué dans la viralité du post. Si ça avait été fait à Bordeaux ou à Toulouse par exemple, ça n'aurait pas été pareil. »
« L'EM Strasbourg nous a demandé de supprimer le post en nous accusant de faire l'apologie du nazisme, s'étonne Léopold Haurie, président de ce média étudiant. C'est dingue de devoir se justifier sur une période aussi noire de l'Histoire. On leur a dit de ne pas employer ces mots-là, ça n'est absolument pas le cas. »
Les institutions scolaires « gèrent au coup par coup les dérapages. On surveille sa réputation et on demande des formations dans l'immédiat », commente Philippe Vienne, chercheur spécialisé sur les violences en milieu scolaire. Avant même que la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) du Bas-Rhin n'en soit informée, le directeur de l'Ecole de management de Strasbourg, Herbert Castéran, a annoncé dans son communiqué de presse que l'organisation interviendrait afin de sensibiliser ses étudiants. Celle-ci est intervenue à trois reprises pendant deux heures, de manière obligatoire pour chaque élève. « Il s'agissait d'une intervention de crise où l'établissement veut une intervention rapide et que tous les élèves soient sensibilisés, rapporte Fabielle Angel, présidente de la Licra du Bas-Rhin. En ce qui concerne notre association, c'est la première fois qu'on intervient à l'Université, habituellement on a affaire à l'enseignement secondaire. »
L'absence de sensibilisation en milieu universitaire et la communication parcimonieuse dénotent « un problème plus profond et complexe qu'un simple acte irréfléchi, avance Philippe Vienne, sociologue de l'éducation. Ce phénomène relève de questions structurelles : quel bagage culturel a un jeune qui sort du secondaire aujourd'hui au sujet de l'Allemagne nazie ? Que font les établissements secondaires et universitaires pour maintenir cette mémoire vivace ? » Pour cet universitaire, dans des régions comme l'Alsace « plus marquée par la guerre que d'autres » et désormais à l'Ecole de Management de Strasbourg, le devoir de mémoire devrait susciter une mobilisation plus importante.
Diane Sprimont