16 octobre 2012
Depuis 1992, le quartier Lizé, au Neuhof, accueille l'unique base militaire de l'Eurocorps qui regroupe cinq États européens. Reportage au cœur de la caserne qui a exceptionnellement ouvert ses portes.
Rien n'indique que les hauts bâtiments décrépis qui bordent l'avenue du Neuhof abritent la base militaire de l'Eurocorps. Aucun drapeau européen ni écusson ne vient rappeler au passant qu'il se tient à quelques mètres d'une base unique en France.
Une base encore plus discrète depuis que l'entrée de la caserne a été déplacée de l'avenue du Neuhof à la rue de Solignac, pour des raisons logistiques. Les camions touchaient régulièrement la voûte du bâtiment, et faisaient trembler le bureau du général.
Il est 10 heures, ce lundi matin, quand nous nous présentons au poste d'entrée de la base otanienne. Les mesures de sécurité se résument à un simple contrôle d'identité. Ni détecteur de métaux, ni fouille des sacs. Le capitaine Iara, chargé des relations avec la presse (française) qui nous accueille est censé nous faire découvrir la vie quotidienne de la caserne.
Ce jour-là, la base semble figée. Pas un militaire à l'horizon dans l'immense cour centrale balayée par un vent glacial. "Il y a plus de monde d'habitude, mais aujourd'hui avec ce froid, tout le monde est à l'intérieur", explique le capitaine. Des conditions climatiques proches de celles des montagnes afghanes où se trouvent depuis janvier 150 membres du bataillon, dans le cadre de la force internationale de l'Otan (ISAF).
Aucun signe de char d'assaut ou d'engins de combat sur l'aire de stationnement de la caserne. Uniquement des bus, des camions et des jeeps. "Sur la base vous ne trouverez que des véhicules de transports qui sont destinés aux entraînements. " La raison ? Le régiment du Quartier Lizé est un bataillon de soutien logistique à l'état-major, chargé du transport de matériel, des générateurs électriques, du ravitaillement en vivres et de la sécurité.
Une ambition européenne en Stand-by
Après trois quarts d'heure en compagnie du chargé des relations avec la presse, nous sommes amenés dans la "conference room". Sur le mur, deux pendules indiquent respectivement l'heure à Strasbourg et celle à Kaboul. Le capitaine D. C., qui souhaite conserver l'anonymat pour des raisons de sécurité, nous reçoit pendant quinze minutes. Son discours sur l'Eurocorps est bien rôdé.
"Nous constituons un des piliers de la future armée européenne, se complimente le capitaine. L'Eurocorps a pour vocation de commander jusqu'à 60 000 hommes sur le terrain. Nous sommes à la disposition de l'UE et de l'Otan". Pourtant, depuis sa création, l'Eurocorps n'a jamais été employé par l'UE lors de ses opérations extérieures.
Les questions embarrassantes sur l'utilité de l'Eurocorps sont évacuées d'un laconique. "Je préfère ne pas me prononcer sur ce sujet."
Après une heure sans réelle réponse sur la vie quotidienne de la caserne, on nous permet de prendre des photos du site. "Seulement des cadrages serrés, pas de vue générale, ni de plaques d'immatriculations", précise le lieutenant Iara.
La suite de la visite se fait en compagnie du brigadier chef Hallez et du brigadier chef Pédailler. "Nos journées commencent à 7h45, souvent par du sport pour rester en forme. C'est pas obligatoire, mais c'est recommandé", explique le brigadier chef Hallez.
Quant aux entraînements, ils ne sont pas quotidiens. Certains jours les militaires font de la paperasse. "Il n'y a pas de journée type à l'armée. Être militaire c'est savoir s'adapter !", poursuit le brigadier.
Une coopération pas toujours facile
Au centre de la place aux armes, les drapeaux des cinq nations sont tous hissés. Cela fait plusieurs années qu'il n'y a plus de levée des couleurs. "C'était difficile, car les traditions ne sont pas les mêmes. Par exemple pour les Français, la tradition est de s'arrêter lorsque nos couleurs sont hissées, même si nous sommes en voiture". Sur la base, les militaires conservent leurs uniformes nationaux et leur matériel.
Seul signe d'appartenance au bataillon : l'écusson de l'Eurocorps sur les bérets. Au détour d'un bâtiment, les deux brigadiers-chefs nous ouvrent les portes du local des équipements français. "Chaque militaire a dans son équipement une combinaison anti-radiation et un masque à gaz, pour faire face à toute éventualité ."
La visite au pas de course se poursuit par l'atelier de réparation des véhicules. Un garage singulier, où chaque nation a ses propres mécaniciens. Renault et Peugeot pour les Français. Mercedes et Volkswagen pour les Allemands. L'ambiance est bon enfant, au milieu des véhicules militaires, une voiture civile est en réparation. "Secret défense", s'exclame un mécanicien belge. "Tout ce que je peux dire, c'est que les meilleurs véhicules, ce sont les nôtres !"
Les deux heures de visite accordées sont écoulées, et on nous ramène vers la sortie. Sur le chemin, le brigadier chef Pédailler reconnaît quelques flottements dans l'organisation interne : "Chaque nation a ses propres règlements, c'est un peu compliqué parfois. Mais généralement ça fonctionne plutôt bien ".
La caserne propose aussi des activités ludiques, comme des cours d'anglais pour les militaires. La langue de Shakespeare est devenue la langue de travail entre les différentes nationalités. Mais à midi, lors de la pause déjeuner au Cercle de Mess, les tables se forment entre compatriotes : la coopération européenne a des limites.
Robert Gloy et Geoffrey Livolsi